26 janvier 2006



DEBAT SUR LE RETOUR A L'EMPLOI : JEAN-PAUL VIRAPOULLE MET EN CAUSE LA MONDIALISATION SAUVAGE (extrait des débats du sénat le 25 janvier 2006)
http://intranet.senat.fr/cra/s20060125/s20060125H6.html#toc7

"M. VIRAPOULLÉ. – Je suis souvent intervenu pour défendre le statut des RMistes : en décembre 1988, à l'Assemblée nationale, lors de la création du R.M.I., quand nous pensions que l'insertion fonctionnerait, qu'il ne s'agirait que d'un pansement provisoire sur la misère ; en 1997, lorsque j'ai proposé la création du R.M.A., voté à l'unanimité par les députés, le groupe communiste s'abstenant.

M. VIRAPOULLÉ. –… mais vous n'avez pas voté contre. La dissolution a empêché qu'il soit mis en œuvre. Nouvelle intervention de ma part en 2003, lorsque M. Fillon a proposé un nouveau R.M.A., qui a abouti au C.I.-R.M.A. Aujourd'hui, on nous propose un processus d'intéressement pour sortir de ces trappes à pauvreté. La possibilité de cumuler le R.M.I. avec un revenu du travail à partir de 78 heures me paraît être une bonne solution, tout comme la proposition du rapporteur de verser la prime de mille euros dès le premier mois. La prime de 150 euros aurait pu être plus élevée ; il faudra observer ses effets et éventuellement la réviser.
Dans nos permanences, nous recevons des RMistes qui se disent prêts à travailler, même dans des emplois saisonniers, mais qui ne veulent pas perdre leur statut, qui leur ouvre droit à la C.M.U., à la majoration de l'allocation logement et à l'exonération de taxe foncière. Je les comprends. Le RMiste qui reprend un travail continuera-t-il à bénéficier de la C.M.U. ?

M. VIRAPOULLÉ. – C'est capital, car le coût d'une mutuelle neutraliserait les ressources complémentaires. Il faudrait également améliorer l'intéressement pour lequel je plaide depuis 1977. La plupart des RMistes sont peu qualifiés. Si nous ne voulons pas qu'ils soient cantonnés à des emplois saisonniers ou précaires, puisqu'ils retournent au R.M.I., il faudrait, pendant la période où ils s'insèrent socialement, faire du droit à la formation un vecteur d'intégration. Je propose que l'on puisse conserver, en apprentissage, le statut de RMiste. Mais le contrat devra durer le temps nécessaire pour que la personne bénéficie d'une véritable qualification. Ce n'est que comme cela que l'on mettra fin aux trappes à pauvreté. Songeons que 100 000 à 400 000 emplois ne sont pas pourvus, par manque de demandeurs qualifiés ! Alors calibrons ! Offrons un espoir aux RMistes ! Les critères de formation sont là ! Permettons le cumul entre cursus de formation et R.M.I, en proposant, sans tarder, un contrat de qualification professionnelle.
Deuxième proposition : 300 000 entreprises cherchent des repreneurs. J'étais hier dans l'Oise, où nous avons passé une convention, je serai bientôt dans le Nord, pour tenter d'amener de jeunes Réunionnais à se mettre en situation de repreneurs d'entreprise, l'idée étant que le patron prenne en tutorat le jeune repreneur. Offrons un nouveau contrat intégration, celui de repreneur d'entreprise, en permettant le cumul jusqu'à ce que le jeune soit apte à la reprise. Cette proposition mériterait d'être étudiée. Le Conseil régional du Nord fait des ponts d'or aux éventuels repreneurs. Comment se fait-il que dans un pays qui compte tant de personnes qualifiées, tant de cadres, tant soient laissés au bord de la route, par manque de circuits ?
Je ne cherche pas à culpabiliser le gouvernement et fais acte d'humilité. Nous avons eu deux septennats à gauche, deux à droite, des périodes de cohabitation. Dans tous les cas, on a assisté à des disparitions d'entreprises. Il ne sert de rien de battre sa coulpe si l'on ne pose pas le problème de fond : combien de temps continuerons-nous à valider sur le plan européen le libre échange le plus aveugle ?

M. VIRAPOULLÉ. – Vous n'avez pas de leçons à donner ! (M. Gournac approuve.) Les communistes participaient au gouvernement qui a validé les accords de Marrakech dont date l'accord général sur la libéralisation des services !
On pourra faire ce que l'on veut au plan national, si l'on met en compétition des ouvriers qui bénéficient d'un minimum de droits et de revenu avec la main-d'œuvre de puissances plus fortes en nombre et plus autoritaires, où le droit du travail n'existe pas, qui se livrent au dumping monétaire et ignorent la protection de l'environnement, on ruinera des pans entiers de notre économie. En France, la part de la production industrielle est de 22 %, elle n'est plus que de 9 % aux États-Unis. Et que l'on ne m'oppose pas l'Angleterre où l'ancienne ministre du Travail Maggy Hodge a déclaré que pour en arriver à leur donner un statut acceptable, on a condamné trois millions de jeunes à occuper des emplois réservés aux handicapés.

23 janvier 2006


COMMISSION D'ENQUETE SUR L'IMMIGRATION CLANDESTINE : LE LIBRE ECHANGE EST RESPONSABLE!
(audition du ministre des affaires étrangères par la commission sénatoriale, mardi 17 janvier 2006)
M. Jean-Paul Virapoullé a estimé que la politique de libre-échangisme actuelle ne profitait qu'aux pays d'Asie et aux Etats-Unis, mais non à l'Europe. Il a relevé que l'Inde et la Chine formaient chacune, chaque année, plus de 300.000 ingénieurs. Il a souligné que l'Afrique avait été livrée au pillage et qu'il conviendrait de la laisser se développer, relevant notamment les difficultés rencontrées dans la filière du coton alors que les cotonniers américains bénéficiaient de larges subventions. Il a regretté que des technocrates siégeant à l'Organisation mondiale du commerce ou à la Banque mondiale définissent eux-mêmes les conditions du commerce et du développement mondial, souhaitant la mise en place de quotas au profit des productions africaines afin d'en assurer l'écoulement sur le marché mondial.
Evoquant le cas de La Réunion, il a souligné les entraves au développement économique et technologique résultant du fait que les investisseurs étrangers venant d'Inde, de Chine ou d'Afrique du Sud ne pouvaient se rendre facilement dans ce département d'outre-mer faute de pouvoir obtenir des visas rapidement et sans difficulté. Il a mis en avant les problèmes créés par l'absence d'état civil aux Comores, les Comoriens venant à Mayotte obtenir des faux papiers, ce qui posait la question de savoir si les maires devaient inscrire ces personnes sur leurs listes. Il a estimé qu'à Mayotte, territoire français, les mariages devraient être célébrés par des officiers d'état civil et non par des cadis.

16 janvier 2006


REPONSE A JACQUES MARSEILLE SUITE A UN ARTICLE PARU DANS L'HEBDOMADAIRE "MARIANNE"

" Monsieur le Professeur,

J’ai lu avec attention votre article sur Jules Méline, paru dans le « Marianne » du 24 décembre 2005.

Hélas, comme pour beaucoup d’économistes ou d’essayistes, vous avez traité le sujet du protectionnisme sous un angle volontairement négatif, accumulant parfois des faits inexacts concernant l’économie du 19ème siècle, et – de fait – arrivant à des conclusions erronées (et quelque peu condescendante) sur la France et ses performances économiques séculaires.

Vous présentez tout d’abord la Grande-Bretagne comme la championne du libéralisme, notamment en matière agricole.

Je vous rappelle que la Grande-Bretagne s’est développée de 1750 à 1850 sur des bases entièrement protectionnistes durant un siècle !

D’ailleurs, la première vague de libre-échange, menée par Cobden et Peel en 1846, a été menée suite à des luttes politiques très dures.

Dans cette période la Grande Bretagne a acquis ce que Ricardo appelait un « avantage comparatif » dans la plupart des domaines, forte d’une technicité que beaucoup de pays lui enviaient.

Il était donc possible, vers 1850, d’apparaître à la fois « moderne » et efficace économiquement de libéraliser les échanges, ce qui fût fait partout en europe…

Bizarrement, quelques années après l’ouverture des échanges avec des pays à coût salarial plus bas (j’insiste sur ce fait), dont la France et l’Allemagne, la croissance européenne s’effondre, donnant lieu à la célèbre « dépression de 1870 ».

Le taux de croissance net européen, durant cette époque, chute de 1,1 % à 0 ,2 %.

La Grande-Bretagne, principale actrice de ce libre-échangisme, chute encore aussi et se laisse distancer par des pays comme l’Allemagne, qui lui raviront la place de première économie dès la fin du 19ème siècle.(les U.S.A. aussi, mais plus tard car eux sont également restés fidèles au protectionnisme).

Dans toute l’Europe, monte alors une vague protectionniste en réaction à la déliquescence économique. Méline, en France, apparaît et axe son discours sur l’agriculture non pas par archaïsme intellectuel, mais parce que l’agriculture est encore le premier secteur en Europe, employant la majorité de la population active.

Que s’est-il passé à cette époque ?

La libéralisation du commerce a provoqué, notamment en Grande-Bretagne, une stagnation voire une baisse des salaires des ouvriers, engendrant un déficit de consommation, nuisible à la croissance.

Cette découverte fondamentale a été formalisée par Keynes dans les années 1930.

D’abord favorable à la croissance de la France et de l’Allemagne (qui étaient, à cette époque, des pays à bas coût salarial), la chute de la croissance anglaise a entraîné la leur par la suite.

Le libre-échange « interne », allemand (le « zollverein »), a fonctionné car il était réalisé entre des régions allemandes à niveau salarial identiques.

Le protectionnisme de l’avant-première guerre mondiale a rétabli – un peu – la croissance, même si son principal moteur, c’est-à-dire la hausse des salaires des consommateurs internes, était toujours prisonnier d’une mentalité archaïque et malthusienne dont la deuxième guerre mondiale nous a libéré, créant ainsi nos « 30 glorieuses ».

Aujourd’hui, nous rééditons les erreurs de nos prédécesseurs en ouvrant nos frontières à des pays-continents qui tirent les salaires des travailleurs (cadres inclus) vers le bas, et augmente le chômage.

Les U.S.A. et la Grande-Bretagne ne doivent une rémission de ces effets qu’à un endettement monstrueux alimentant la spéculation financière et immobilière gigantesque.

J’ai également mis en place un groupe de travail au sein du sénat sur la Préférence Européenne, qui, je l’espère aura l’occasion un jour ou l’autre d’entendre les économistes sur ce sujet.


En espérant vous rencontrer, c’est avec plaisir que je me tiens à votre disposition pour discuter de ce sujet.

Je vous prie de croire, Monsieur le Professeur, en l’assurance de ma parfaite considération.


adrersse article : http://www.jacquesmarseille.fr/Actualit%C3%A9/Article_Marianne_dec05_Paysan.asp

03 janvier 2006


REPONSE A NICOLAS BAVEREZ SUITE A UN ARTICLE DU POINT DU 28 OCTOBRE 2005
(réponse envoyée au journal par courrier)


Paris, le 14 novembre 2005

Monsieur Nicolas BAVEREZ
« LE POINT »
74, avenue du Maine
75682 PARIS CEDEX 14

Monsieur,

J’ai lu avec un grand intérêt votre article dans Le Point du 28 octobre dernier concernant « La tentation protectionniste ».

Pour avoir récemment créé au sein du Sénat un groupe de travail sur la « Préférence Européenne » et sur les discriminations dont sont victimes nos entreprises dans cette mondialisation inéquitable qui est la nôtre, je dois vous avouer ma stupéfaction quant aux erreurs d’appréciation historiques et politiques que vous semblez prendre pour des vérités d’évidence.

Tout d’abord, je vous rappelle que dans un article du 23 juin dernier du Point également, vous approuviez la notion de « Préférence Européenne », qui est, sauf erreur de ma part, une mesure économique à 100 % d’ordre protectionniste…

En 4 mois vous avez donc réussi à approuver une chose et son contraire, ce qui constitue pour moi une première surprise.

Autre surprise, et de taille… : Conclure, comme dans le premier paragraphe de votre article, que c’est parce que la France serait protectionniste que notre croissance est mauvaise et notre chômage si élevé…

Je pensais, sans doute naïvement, que le taux d’ouverture de la France (30 %) était bien supérieur au taux d’ouverture de l’économie américaine que vous vénérez (15 %) et que ceci suffisait à démontrer que notre économie était loin d’être « protectionniste »…

Je croyais également naïvement que la parole de M. Peter Mandelson, Commissaire européen à la concurrence, qui déclarait récemment que l’Europe était le « marché le plus ouvert du monde », constituait une preuve suffisante de l’absence de protectionnisme dans notre économie.

Cette déclaration – tout à fait exacte - a pourtant un corollaire logique : elle montre que les pays que vous semblez considérer comme ouverts et libéraux (U.S.A. et pays émergents en tête, dans votre Panthéon personnel) ne le sont en fait pas du tout, et manipulent quotas, droits de douane, entraves au commerce ou aux investissements stratégiques, normes spécifiques, non pas de manière « exceptionnelle », comme vous l’affirmez, mais de manière massive et permanente.

Seule notre vieille Europe, conseillée par quelques experts omniscients, considère qu’une ouverture totale est le nec plus ultra de l’économie moderne.

Mais le plus grave n’est pas là…

La partie la plus faussée de votre raisonnement est de s’appuyer sur des données historiques erronées, concernant notamment les années 1930, mais aussi en mettant dans le même sac méprisant les oeuvres de Colbert, de Méline ou de Keynes.

Rappelons, si vous le voulez bien, la vérité historique en commençant par le début, c’est-à-dire le 19ème siècle…

La Grande-Bretagne a effectivement supprimé, progressivement, de 1842 à 1849, l’essentiel de son arsenal douanier, notamment sous l’impulsion de l’industriel Cobden et du Premier Ministre Peel.

Ce traité de libre-échange est signé avec la France et la Russie de manière totale ou presque. Le Japon de l’ère Meiji et l’Allemagne du Zollverein ne le signent que formellement, laissant les intérêts nationaux guider les tarifs douaniers. L’Amérique nordiste, qui venait de triompher du sud cotonnier et libre-échangiste, ne le signe pas du tout…

La Grande-Bretagne avait signé ce traité car elle avait, durant un demi siècle, protégé ses industries, et disposait d’une avance technologique forte qui contrebalançait le différentiel de coût du travail en faveur de la France. Le libre-échange servait donc là aussi les intérêts nationaux de la Grande-Bretagne.

Suite à la libéralisation des échanges, la croissance s’est ralentie durant la phase « libérale » : 0,2 % par habitant vers 1868-1890, contre 1,1 % 25 ans auparavant (phase protectionniste pré libre-échangiste) et 1,5 % après (phase poste libre-échangiste). Ces données sont disponibles dans l’ouvrage de Paul Bairoch (commerce extérieur et développement économique).

Finalement, même en Grande-Bretagne, la croissance a fini par se tasser et elle s’est laissée dépasser par les nations protectionnistes, Allemagne puis Amérique…

L’épisode Méline, que vous mentionnez, est la conséquence de ce tassement de croissance dû au libre-échange…

Concernant la crise des années 30, les années 1927 à 1929 furent, contrairement à ce que vous affirmez, des périodes de libéralisation des échanges suite aux recommandations de la S.D.N. en 1927.

Par la suite, dans les années 1930, les politiques protectionnistes ont permis le retour de politiques expansionnistes (Keynésiennes dans la terminologie actuelle) qui ont permis un retour modéré à la croissance et une réduction du chômage.

L’image négative du protectionnisme durant cette époque provient du fait qu’une des économies importantes, l’économie allemande a pratiqué un protectionnisme « militaire » qui a fait par la suite 60 millions de morts.

Mais nous devons reconnaître néanmoins que les politiques monétaires, budgétaires ou salariales expansionnistes n’avaient pas atteint en 1939 le niveau qu’elles ont atteint entre 1945 et 1975 et qui nous ont valu les « 30 Glorieuses ».

Actuellement, nous sommes en train de vivre la 3ème édition des erreurs libre-échangistes du passé.


Deux courbes observent en effet un parallélisme parfait, y compris pour l’économie américaine : la courbe de la montée des échanges avec les pays à bas salaires depuis 1974 et la courbe de la baisse de la croissance dans les pays développés.

Je vous fais remarquer que les taux de croissance dans les pays « riches » ont fondu en 30 ans.

La fabuleuse croissance mondiale que vous annoncez (4 %) prend en compte arithmétiquement la croissance du P.I.B. chinois, qui correspond mécaniquement à cette captation de richesse.

Le jeu mondial, si on considère les 3 grands blocs « riches » (U.S.A., Europe, Japon), est un jeu gagnant/perdant avec une petite particularité néanmoins qui trouble la vision, et qui est celle de la croissance américaine essentiellement d’origine financière et spéculative.

La cause de la crise que nous connaissons depuis 30 ans est une cause pourtant archiconnue depuis les années 1930, mais que nous refusons de voir car elle est beaucoup plus lente qu’auparavant et masquée par quelques résultats économiques locaux qui ont tous des causes spécifiques et souvent inimitables, (lorsqu’elles ne sont pas mensongères comme la politique de l’emploi dans les pays d’ Europe Nord qui consiste à donner une autre dénomination au statut de chômeurs).

Le libre-échange, en rabotant les salaires au moins disant social, empêche la consommation de croître au même rythme que la production. D’où un déficit de demande qui nuit finalement à la croissance.

Empiriquement, la loi de Jean-Baptiste Say sur la fameuse « offre qui crée sa propre demande » n’a jamais été vérifiée…

Marx l’avait compris mais avait proposé une solution fausse.

Seul Keynes avait compris que le problème du capitalisme était la hausse parallèle de la demande et de l’offre, ce que ne permettait pas le 19ème siècle dominé par la pensée anglaise libre-échangiste, et qui s’est terminé par la grande crise de 1929 (résolue par le protectionnisme d’avant et d’après guerre).

Si j’ai tenu à vous faire cette longue réponse c’est non seulement parce que vous avez été un des premiers il y a 10 ans à dénoncer la politique suicidaire menée par Jean-Claude Trichet, mais également parce que bon nombre de vos analyses sont souvent très justes et argumentées.


C’est avec plaisir que je me tiens à votre disposition pour discuter de ce sujet qui est non seulement passionnant mais aussi dramatiquement brûlant car le libre-échange est en train de fragmenter non seulement les économies mais aussi la cohésion nationale comme nous le montre la crise des banlieues.

Je vous prie de croire, Monsieur, en l’assurance de ma parfaite considération.



Jean Paul VIRAPOULLÉ
Sénateur de la Réunion