28 décembre 2005



"JE SUIS DE CEUX QUI CONSIDERENT
qu’au cours de ces dernières années, la Pensée Unique prônée par les élites européennes a entraîné une véritable fracture intellectuelle entre le peuple et sa classe politique".

Le constat est sans appel : L’Europe aujourd’hui ne fait plus le bonheur de ses peuples !

Cependant, comme la Construction Européenne est avant tout une œuvre démocratique, il n’est pas possible d’agir sans le peuple ni a fortiori contre lui.

Le 29 mai dernier, le peuple nous a interpellé non pas pour se défier de l’Europe mais, j’en suis convaincu, pour se défier de la politique de libre-échange forcenée imposée depuis 1974.

Aujourd’hui l’Europe ne protège plus les intérêts vitaux de nos concitoyens et notamment le premier d’entre eux qui est l’accès à la dignité par le travail. Qu’on le veuille ou non, l’Europe de la prospérité s’est bâtie sur la Préférence Européenne, c’est-à-dire une mise en concurrence loyale et raisonnable entre les systèmes économiques.

Or, depuis 1974 avec la libéralisation progressive des échanges avec les pays à bas salaire, nous avons fait le pari implicite – mais hélas erroné – d’une division internationale du travail : à nous la production de biens de haute technologie, aux pays émergents les biens à faible valeur ajoutée.

Ce pari est en train d’échouer sous nos yeux… . Les continents émergents, Inde et Chine en tête, mais aussi Brésil ou Turquie, s’emparent de l’ensemble des productions, y compris les plus avancées technologiquement. Désormais les services sont aussi atteints par ce transfert de production. Nous ne sommes pourtant qu’au début de ce processus…


Le libre-échange intégral est la véritable cause de la stagnation économique dans les pays développés depuis 30 ans .

Aujourd’hui, les appareils économiques des sociétés de l’Europe continentale sont aussi flexibles que possible. A Paris comme à Berlin ou à Rome, n’importe quel patron peut licencier n’importe qui, (presque) n’importe comment et à peu de frais. Aujourd’hui le salaire d’un ouvrier français est inférieur à celui d’un britannique et on trouve sur le marché du travail des ingénieurs smicards. Il n’existe pas de modèle libéral qui s’opposerait à un modèle continental trop rigide ou dépensier.

La croissance anglo-saxonne est, si on regarde les statistiques, imputable pour l’essentiel à la croissance de la finance internationale, donc sans possibilité pour nous de les imiter. N’est pas la City ou Wall-Street qui veut…

En fait, depuis 30 ans, nous avons affaire en Europe et au Japon à une « crise de 1929 », rampante et sournoise, qui a pour origine une stagnation de la croissance due à une hausse insuffisante, voire une stagnation, des salaires.

L’origine de cette insuffisance est connue : Pour faire face à la concurrence des pays à bas salaires, la compression des coûts, en cascade, est désormais la seule option possible pour les entreprises.

Le libre-échange avec les pays à bas coût salarial est désormais un poison qui est en train de détruire nos sociétés. Voilà ce qu’ont compris, certes de manière confuse, nos concitoyens, qui en veulent à leurs dirigeants de s’obstiner dans le sens d’une prolongation - et même d’une aggravation - de leurs souffrances.

Concernant cette problématique du libre-échange, nous devons absolument apprendre à réfléchir à l’avenir non plus en termes statiques (équilibre extérieur, balance de création d’emplois,…) mais en termes dynamiques, c’est-à-dire en prenant en compte le tassement de la demande globale dans les pays développés par la stagnation des salaires imposée par la concurrence avec des pays à bas salaires.

Ainsi, par exemple, en termes réels, le commerce extra-communautaire aujourd’hui est très minoritaire (12% du total) , mais il concerne surtout le secteur industriel et les multinationales de nos pays qui imposent à leurs sous-traitants les sacrifices qu’elles s’imposent elles-mêmes. Au total, l’influence de la compression des coûts devient déterminante pour l’ensemble de l’économie, d’autant qu’elle atteint aussi les services délocalisables.

A ce dumping en matière de coût du travail (réalisé parfois même avec le travail des enfants) s’ajoute un dumping monétaire généralisé qui rend la situation économiquement intenable.





Pouvons-nous raisonnablement refonder les bases de la Préférence Européenne ?

Historiquement, les phases de libre-échange total ont toujours coïncidé avec une stagnation économique (la plus évidente étant celle du milieu du XIX siècle).A l’inverse les plus grands succès européens de ces dernières années ont tous eu pour base des politiques interventionnistes (Ariane, Airbus, P.A.C.…).

Il est faux également de dénoncer – voire de diaboliser – la Préférence Européenne comme une mesure agressive et nationaliste. En fait l’Europe est aujourd’hui le seul grand ensemble économique sans protection. Pour résumer, la Préférence Européenne constitue la forme économique de la pensée démocratique car il s’agit avant tout d’établir des relations commerciales sur des bases loyales et équitables, la division internationale du travail étant un leurre.

Certes, le rétablissement d’un minimum de loyauté dans les relations commerciales ne peut aujourd’hui se concevoir sans la coopération de l’Allemagne, premier exportateur mondial, et d’une nouvelle politique économique et monétaire expansionniste qui inclura les pays de l’Est européens, dont les débouchés compenseraient d’éventuelles pertes de parts de marchés extra-communautaires.

Cependant le bénéfice politique pour notre Nation serait immédiat, face à un libre-échangisme anglo-saxon qui entraîne l’ensemble du continent sur la voie de l’inégalité, du chômage et, au final, du morcellement.

Le rétablissement de la Préférence Européenne, abandonnée petit à petit depuis 1974, est donc une nécessité absolue et vitale pour notre continent, que nous ne pouvons faire sans l’Allemagne, qui évolue aussi dans ce sens.

Aujourd’hui, les élites européennes doivent comprendre qu’à persister dans l’erreur on risque une véritable explosion sociale.

JEAN PAUL VIRAPOULLE
sénateur de la réunion