16 janvier 2006


REPONSE A JACQUES MARSEILLE SUITE A UN ARTICLE PARU DANS L'HEBDOMADAIRE "MARIANNE"

" Monsieur le Professeur,

J’ai lu avec attention votre article sur Jules Méline, paru dans le « Marianne » du 24 décembre 2005.

Hélas, comme pour beaucoup d’économistes ou d’essayistes, vous avez traité le sujet du protectionnisme sous un angle volontairement négatif, accumulant parfois des faits inexacts concernant l’économie du 19ème siècle, et – de fait – arrivant à des conclusions erronées (et quelque peu condescendante) sur la France et ses performances économiques séculaires.

Vous présentez tout d’abord la Grande-Bretagne comme la championne du libéralisme, notamment en matière agricole.

Je vous rappelle que la Grande-Bretagne s’est développée de 1750 à 1850 sur des bases entièrement protectionnistes durant un siècle !

D’ailleurs, la première vague de libre-échange, menée par Cobden et Peel en 1846, a été menée suite à des luttes politiques très dures.

Dans cette période la Grande Bretagne a acquis ce que Ricardo appelait un « avantage comparatif » dans la plupart des domaines, forte d’une technicité que beaucoup de pays lui enviaient.

Il était donc possible, vers 1850, d’apparaître à la fois « moderne » et efficace économiquement de libéraliser les échanges, ce qui fût fait partout en europe…

Bizarrement, quelques années après l’ouverture des échanges avec des pays à coût salarial plus bas (j’insiste sur ce fait), dont la France et l’Allemagne, la croissance européenne s’effondre, donnant lieu à la célèbre « dépression de 1870 ».

Le taux de croissance net européen, durant cette époque, chute de 1,1 % à 0 ,2 %.

La Grande-Bretagne, principale actrice de ce libre-échangisme, chute encore aussi et se laisse distancer par des pays comme l’Allemagne, qui lui raviront la place de première économie dès la fin du 19ème siècle.(les U.S.A. aussi, mais plus tard car eux sont également restés fidèles au protectionnisme).

Dans toute l’Europe, monte alors une vague protectionniste en réaction à la déliquescence économique. Méline, en France, apparaît et axe son discours sur l’agriculture non pas par archaïsme intellectuel, mais parce que l’agriculture est encore le premier secteur en Europe, employant la majorité de la population active.

Que s’est-il passé à cette époque ?

La libéralisation du commerce a provoqué, notamment en Grande-Bretagne, une stagnation voire une baisse des salaires des ouvriers, engendrant un déficit de consommation, nuisible à la croissance.

Cette découverte fondamentale a été formalisée par Keynes dans les années 1930.

D’abord favorable à la croissance de la France et de l’Allemagne (qui étaient, à cette époque, des pays à bas coût salarial), la chute de la croissance anglaise a entraîné la leur par la suite.

Le libre-échange « interne », allemand (le « zollverein »), a fonctionné car il était réalisé entre des régions allemandes à niveau salarial identiques.

Le protectionnisme de l’avant-première guerre mondiale a rétabli – un peu – la croissance, même si son principal moteur, c’est-à-dire la hausse des salaires des consommateurs internes, était toujours prisonnier d’une mentalité archaïque et malthusienne dont la deuxième guerre mondiale nous a libéré, créant ainsi nos « 30 glorieuses ».

Aujourd’hui, nous rééditons les erreurs de nos prédécesseurs en ouvrant nos frontières à des pays-continents qui tirent les salaires des travailleurs (cadres inclus) vers le bas, et augmente le chômage.

Les U.S.A. et la Grande-Bretagne ne doivent une rémission de ces effets qu’à un endettement monstrueux alimentant la spéculation financière et immobilière gigantesque.

J’ai également mis en place un groupe de travail au sein du sénat sur la Préférence Européenne, qui, je l’espère aura l’occasion un jour ou l’autre d’entendre les économistes sur ce sujet.


En espérant vous rencontrer, c’est avec plaisir que je me tiens à votre disposition pour discuter de ce sujet.

Je vous prie de croire, Monsieur le Professeur, en l’assurance de ma parfaite considération.


adrersse article : http://www.jacquesmarseille.fr/Actualit%C3%A9/Article_Marianne_dec05_Paysan.asp